Édouard Sulpice

Pour devenir un artiste inspirant, il faut s’inspirer de toutes les œuvres. Le comédien Édouard Sulpice a toujours senti que l’art allait prendre une place centrale dans sa vie. Né à Chambéry, il est passé par le Conservatoire de Lyon puis par le Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique. Que ce soit au cinéma ou au théâtre, Édouard enracine la pratique de son métier dans la connaissance des œuvres littéraires. Vous avez pu le voir dans le dernier film de François Ozon (Mon Crime) et vous pourrez prochainement le remarquer dans deux long-métrages en 2024 (À la hauteur de Muriel et Delphine Coulin, Ma vie Ma Gueule de Sophie Fillières). La maison d’édition Cicerone a rencontré le comédien qui a accepté de se livrer sur son univers littéraire.

📸 Manon Thore

Quels types d’ouvrage as-tu l’habitude de lire ?

Plutôt des romans français et des essais. Je suis aussi revenu aux pièces de théâtre, j’ai eu besoin à un moment d’avoir une parole incarnée. Par rapport au roman qui peut se montrer comme un bloc de texte, avec le théâtre, il y a quelque chose de plus aéré et direct.

Le théâtre est un genre qui est parfois délaissé, est-ce que tu conseillerais un ouvrage ?  

Avec ma compagnie, on a découvert Le Voyage d’Alice en Suisse de Lukas Bärfuss. C’est un texte drôle et génial. On a tout de suite eu envie de le monter. Je le recommande pour son humour grinçant, sombre. Il y a un esprit germanique. Le théâtre donne l’impression d’être une niche alors qu’il y a par exemple Sophocle ou Shakespeare, leurs textes font partie de ceux qui ont compté le plus dans l’histoire de l’humanité.

Qu’est-ce qui te motive le plus dans le choix de tes projets ? Plutôt le metteur en scène ou le scénario ?

C’est un tout. Quand on est acteur on va raconter une histoire et généralement, on est des passeurs. Pour travailler, il faut que l’histoire nous parle sinon ça ne sera pas assez vivant. Il y a la façon de la raconter. Le comédien ne choisit pas la narration, à notre échelle on a une petite influence.

Tu es libre de modifier le texte selon tes envies ?

C’est la grande question. Je demande toujours au metteur en scène ou au réalisateur quel est son rapport au texte. Au cinéma, il y a des choses très différentes. Je suis heureux d’avoir travaillé avec un réalisateur et écrivain qui s’appelle Eugène Green. C’est quelqu’un qui a un vrai rapport à l’écriture et le texte est central. C’était le cas avec le réalisateur Lucas Belvaux avec qui j’ai travaillé sur une adaptation du livre Des Hommes de Laurent mauvignier. Il voulait conserver l’esprit du roman. D’autres réalisateurs, et c’est très bien aussi, demandent aux comédiens comment ils retravailleraient le texte. Au cinéma, il faut jouer avec ce qu’on est, parfois le personnage se mélange à notre vie intime.

Est-ce qu’il y a des livres qui ont marqué ta vie ?

Il y en a plein. En tant qu’acteur, j’ai été marqué par Valère Novarina. C’est ce que j’ai joué la première fois au théâtre quand je suis entré au Conservatoire de Lyon. C’est un texte qui ne me quitte pas, je l’ai relu récemment. C’est un des plus grands poètes et écrivains d’aujourd’hui. Il invente sa propre langue, ses propres codes, c’est une sorte de cataclysme. C’est un théâtre puissant.  Et sinon, en roman, je dirais Claude Simon avec Les Géorgiques. J’ai compris qu’il y avait d’autres manières d’écrire des histoires, c’était un besoin dans ma vie. À la première lecture, je n’ai pas tout compris mais Claude Simon est peintre et ça se ressent. Il a une façon de composer un roman comme on ferait un tableau ou une musique avec un mélange d’impressions et de souvenirs. Il est en phase avec pleins de questions. Il a fait la guerre, il a connu beaucoup de choses. Bernard Stiegler m’a beaucoup marqué avec le livre Passer à l’acte. Il a opéré une conversion philosophique après son incarcération et c’est poignant.

Quels sont tes héros préférés ?

C’est dur ! Je pense que j’aimerais bien, en tant qu’acteur, faire Hamlet. Sinon j’adore Charles Bovary ! Il y a Emma évidemment mais le roman commence avec Charles. Avant d’être le comble de la médiocrité, on le suit un moment. C’est un médiocre sublime, il est touchant, bouleversant.  

Est-ce qu’il y a un roman que tu aimerais adapter au théâtre ?

Bonne question ! Je travaille avec un metteur en scène qui s’appelle Hugo Roux et qui a notamment fait deux adaptations de roman : Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu et la prochaine mise en scène c’est Les raisins de la colère. Il a pris à bras le corps cette question de l’adaptation. Mais sinon, je penserais à Feu de Maria Pourchet, j’avais été marqué par ce roman coup de poing.

Est-ce qu’il y a un livre qui t’a inspiré pour ton travail artistique ?

Lors de ma dernière résidence avec la compagnie, tout le monde ramenait des livres, des essais, des poèmes et des pièces pour qu’on puisse s’inspirer. Si je devais choisir un livre, je reviendrais sur Novarina. Il y a un texte super important qui s’appelle Pour Louis de Funès. C’est un essai formidable qui parle sérieusement de l’acteur comme quelqu’un d’extraordinaire. Il met en avant un comédien capable de se transfigurer, de dépasser les limites de son corps. Il a une conception de l’acteur qui est transcendante. Pour lui, il y a toujours ce mystère du corps transcendé par le langage. Il a raison, chez Louis de Funès on retrouvait ça dans ses gesticulations, il y a une sorte de frénésie, un peu comme une danse au bord d’un gouffre.

Est-ce que tu t’es déjà essayé à l’écriture ?

J’aime bien l’écriture mais je ne me presse pas, je n’ai pas de vocation à être publié.  Par contre, je fais un podcast littéraire où je lis des textes que j’aime bien. Ça s’appelle En rade. Ça me tient à cœur parce que j’aime bien l’exercice de la lecture à haute voix.

Le podcast d’Édouard Sulpice est disponible juste ici : https://open.spotify.com/show/0pBI6HHozG1KSxoQFGVmtU





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